L'AUTRE QUOTIDIEN

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L’Etat d’urgence ad nauseam, ou l'état d'exception permanent

L’Etat d’urgence a sans cesse été reconduit depuis sa promulgation le 13 novembre 2015. Il a été prolongé en juillet dernier jusqu’au 1er novembre 2017. Le problème est que, pour en sortir, le gouvernement veut inscrire ses dispositions les plus liberticides dans le droit commun et créer un état d’exception permanent.

La fin de l’état de droit ? C’est bien ce qui se profile puisque les députés examinent cette semaine le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Les députés examinent ce texte en session extraordinaire depuis lundi et jusqu’à mardi prochain. Tout à son zèle, le gouvernement a en effet choisi la procédure accélérée, qui réduit les navettes entre assemblée et sénat, tablant sur un vote rapide de la loi avant l’examen du budget 2018. Ce texte, très décrié, intègre dans le droit commun des dispositions jusque-là réservées à l’état d’urgence. Le projet de loi généralise les mesures de répression administrative préventive qui pourront être décidées par le ministère de l’Intérieur et les préfets. Il s’agit de la douzième loi sécuritaire votée en quinze ans. Rappelons par ailleurs, que ce texte liberticide ne figurait pas dans le programme électoral d’Emmanuel Macron…

Assigné à résidence sur simple présomption

La loi permettra de cibler des individus sur un faisceau de présomption et non sur des faits matériellement établis qui justifieraient des poursuites judiciaires. Le ministre de l’Intérieur pourra assigner les personnes en question dans un périmètre au moins égal à la commune avec obligation de se rendre au commissariat une fois par jour, sans aucune intervention du juge judiciaire. En cas d’infraction à cette assignation dans le périmètre désigné, elles pourront être incarcérées pour trois ans. Elles devront aussi fournir leur numéro de téléphone et leurs identifiants électroniques, ce qui, selon la Ligue des droits de l’homme (LDH), « contrevient manifestement aux normes internationales et européennes de protection de la vie privée et des données personnelles ». Le préfet pourra aussi continuer à fermer des lieux de culte pour six mois et ordonner des perquisitions administratives, rebaptisées « visites domiciliaires ». Celles-ci pourront se traduire par la saisie de documents ou terminaux informatiques, avec l’aval du JLD. Contrairement à la première mouture du projet de loi, le Juge des libertés et de la détention (JLD) devra être consulté sur les perquisitions et le procureur informé des assignations à résidence. Mais sur quelle base pourront-ils examiner leur validité ? Il s’agit bien là de concessions de forme qui ne changent rien à la gravité de ces mesures.

Des contrôles d’identité généralisés

Le projet de loi généralise également la surveillance des communications hertziennes. Il maintient la possibilité pour le préfet de déterminer des périmètres de sécurité élargis, « aux abords de sites soumis au risque d’attaques terroristes », dans lesquels la police pourra procéder à des fouilles et à des palpations de sécurité. Ce qui, compte tenu du nombre de sites sensibles, pourrait concerner tout Paris. Enfin le projet de loi étend les possibilités de contrôle d’identité à toutes les zones frontalières, « y compris autour des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international, afin de mieux contrôler l’immigration et prévenir les actes de terrorisme ». Outre que le texte établit un rapport nauséabond entre immigration et terrorisme, il étend la possibilité pour la police de lancer des opérations de contrôle sans le feu vert de la justice à près de 30% du territoire, englobant les deux tiers de la population française. Cette disposition du texte qui n’a pas grand choses à voir avec le terrorisme va généraliser la chasse aux migrants et aux sans papiers. Déjà, Emmaüs se plaint que, dans la région de Forbach, ses compagnons qui conduisent les camions de ramassage sont harcelés par la police de l’air et des frontières. Or, la moitié sont sans papier. Sur les ondes de France Bleu, Gaston Weber, le président de Emmaüs Forbach explique que ces derniers sont arrêtés et contraints de quitter le territoire.

Une définition des suspects qui s'étend à tout le monde

Les mesures privatives de liberté pourront s’appliquer « aux fins de prévenir des actes terroristes », donc en l’absence de toute infraction. Le risque de dérapage est grand puisque est concernée toute personne « à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics ». Une définition suffisamment large pour s’appliquer potentiellement à tout le monde. Or, un rapport d’Amnesty international, publié le 31 mai dernier, montrait déjà comment l’Etat d’urgence avait été détourné pour cibler des militants écologistes et syndicaux. Selon l’organisation de défense des droits de l’homme, 155 manifestations ont été interdites en 18 mois, 639 mesures individuelles d’interdiction de manifester ont été prises contre des personnes, dont 21 concernaient les manifestations contre la COP 21 et 574 des manifestants contre la loi travail.

Une large opposition au projet de loi

Dans un appel lancé par 500 universitaires et chercheurs dans Libération et Mediapart titré « banalisation de l’état d’urgence : une menace pour l’Etat de droit », 500 universitaires et chercheurs se sont alarmés de cette volonté d’inscrire dans la loi un état d’exception permanent. Parmi eux, la Quadrature du Net, le Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI), l’Observatoire international des prisons (OIP), mais aussi le Syndicat de la magistrature et celui des avocats de France. Pour le Syndicat de la magistrature, ce texte est un « monstre juridique », quand le Syndicat des avocats de France parle d’un « état de soupçon permanent ». La Ligue des droits de l’Homme, qui propose une analyse détaillée du texte, n’est pas en reste, qui dénonce des mesures exceptionnelles portant « gravement atteinte à l’Etat de droit et aux libertés fondamentales ». Pour Mireille Delmas-Marty, professeure au Collège de France, il s’agit d’une rupture grave dans l’état de droit, puisque ces mesures pourront s’appliquer à une « personne non pas pour la punir d’un crime qu’elle a commis mais pour prévenir ceux qu’elle pourrait commettre ».

Tous sur écoute !

Une logique du soupçon généralisée qui vise « toute personne présentant une menace », jusqu’à « l’entourage d’une personne soupçonnée d’être en lien avec cette menace ». La loi sur le renseignement permettait déjà de placer sur écoute quasiment n'importe qui pour « la prévention des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale » et plus largement « la défense des intérêts majeurs de la France ». Cette loi de 2015 avait notamment légalisé l’installation de boîtes noires chez les fournisseurs d’accès Internet et les Imsi-Catcher, dispositifs permettant de récupérer les numéros d’un portable et le contenu des conversations et des textos, dont l’usage s’est banalisé dans les manifestations. Désormais, la loi permettra en plus de priver de liberté les personnes surveillées par simple voie administrative.

Véronique Valentino