L'AUTRE QUOTIDIEN

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Dix ans après la mort de Lamine Dieng, le combat des familles continue

Samedi 17 juin, le collectif  Vies Volées, fondé par la sœur de Lamine Dieng, organise un rassemblement pour commémorer la mort du jeune homme, mort asphyxié dans un fourgon de police. De nombreuses familles de victimes des violences policières seront présentes pour réclamer la fin de l’impunité. Et appeler à la convergence des luttes.

L’émotion est encore présente dans la voix de Ramata Dieng, lorsqu’elle évoque, dix ans après, la mort de son frère Lamine, décédé à l’âge de 25 ans, après son interpellation par la police dans le 20e arrondissement de Paris. Le 20e arrondissement dans lequel l’association Vies Volées, qu’elle a créée, organise demain une commémoration de ce décès, avec projection, marche et concert de soutien, qui réunira de nombreuses autres familles de victimes de la police.

 

Une arrestation musclée

Les faits se sont produits dans la nuit du 17 juin 2007. La police reçoit un appel concernant un différend familial entre Lamine Dieng et sa compagne au 8 rue de la Bidassoa, à l’hôtel Nadaud, derrière la place Gambetta. Trois policiers font irruption et découvrent à leur arrivée sur place, un homme allongé par terre, caché sous un véhicule, entre deux voitures en stationnement, garées devant l’hôtel. L’homme -Lamine Dieng-, tente alors de s’extraire de dessous le véhicule, comme le lui ordonnent les gardiens de la paix. Selon la version policière, il se trouvait dans un état d’agitation extrême, aurait résisté et se serait montré menaçant, au point que les trois policiers demandent du renfort. Selon la famille, en revanche, les policiers auraient eu peur de perdre le contrôle de la situation, vu la corpulence du jeune homme, et auraient entrepris de le plaquer au sol. Plusieurs témoins ont en tout cas témoigné de la violence de l'arrestation.

Décès par asphyxie

C’est à partir de ce plaquage que la situation dégénère. Il est 4h12 du matin. Lamine Dieng est immobilisé -« de façon peu académique », écrira la Commission nationale de déontologie de déontologie de la sécurité-, face contre terre, le bras droit passé par-dessus l’épaule, derrière la tête et menotté à son bras gauche replié dans le dos. Ses jambes sont entravées par une ceinture de contention en cuir. Cinq policiers sont assis sur lui, pesant de tout leur poids pour tenter de le maîtriser, parce qu’il résiste. Mais en fait de résistance, le jeune homme se débat simplement pour essayer de respirer, car il est littéralement asphyxié. Les policiers le transfèrent dans un fourgon de police, dans la même position. Et plus le jeune homme se débat pour respirer pendant les longues minutes que va durer son immobilisation, plus les quatre policiers, agenouillés sur lui, appuient de tout leur poids sur son thorax, alors qu'il est plié en deux, les jambes repliées sur ses fesses. Lamine Dieng s’étouffe dans son vomi. Un signe de détresse qui aurait dû attirer l’attention. Mais les policiers continuent jusqu’à ce que l’un d’eux réalise que Lamine Dieng ne bouge plus.

La famille prévenue seulement 36 heures après le décès

L’expertise réalisée en 2010, à la demande de la famille, conclura à une « mort par asphyxie due à une régurgitation alimentaire dans tout l’arbre aérien et à l’appui facial contre le sol avec pression du sommet de la tête dans un contexte toxique ». Les secours, appelés sur les lieux, tentent de réanimer le jeune franco-sénégalais, mais ils doivent constater le décès à 5h15 du matin. La famille ne sera pourtant avertie que 36 heures après les faits et par l’Inspection générale des services (IGS ou « police des polices »). On lui annonce d’abord que Lamine est mort d’un accident sur la voie publique. L’enquête de l’IGS -un bien grand mot pour une simple audition- conclura, en seulement deux jours, au décès par arrêt cardiaque et à l’absence de faute des fonctionnaires de police. Avant que la police ne privilégie la thèse d’une overdose de cocaïne et de cannabis, conformément aux conclusions de la première autopsie, effectuée le 18 juin. La famille, elle, ne sera autorisée à voir le cadavre que le 19, soit deux jours après la mort, derrière une vitre où on ne lui présente que son visage.

Un non-lieu confirmé en appel

Le 22 juin 2007, la famille de Lamine Dieng porte plainte et se constitue partie civile. Le 27, elle saisit la Commission nationale de déontologie de la sécurité, qui conclue que la mort de Lamine est due à une « contention inadéquate ». Il faudra attendre le 11 juillet pour qu’un juge d’instruction soit désigné, qui ordonne une deuxième expertise médico-légale. Celle-ci conclue cette fois à la mort par asphyxie, mais l’enquête avance lentement. Il faudra toute l'énergie des proches du jeune homme pour obtenir une reconstitution, qui sera effectuée sur le greffier dans le bureau du juge et non au commissariat. Le 22 mai 2014, le juge prononce un non-lieu, confirmé en mai 2015 par la Cour d’appel de Paris. Dans l’ordonnance de non-lieu, le juge écrit qu’il n’apparaît pas que « les violences exercées par les policiers intervenants aient été illégitimes » et que « si la technique d’immobilisation s’est révélée dangereuse, elle n’est en l’état aucunement prohibée » (cf. document joint).

Une technique interdite dans plusieurs pays

C’est bien le fond du problème, car cette technique du plaquage ventral, ou immobilisation en décubitus ventral, est dénoncée par de nombreuses organisations, comme Amnesty international, l’ACAT, une ONG chrétienne de lutte contre la torture et la peine de mort, mais aussi le Comité européen de prévention de la torture (CPT). En 2007, la France a d’ailleurs été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, suite au décès d’un homme lié à cette pratique. Une technique d’immobilisation qui est aussi à l’origine du décès de Adama Traoré en juillet 2010, après celui de Abdelhakim Ajimi, âgé de 22 ans,  en 2008, de Serge Partouche, 48 ans, en 2011 et d’Adama Koumé, 33 ans, en 2015. Le plaquage ventral est interdit en Suisse, en Belgique, mais aussi à New York et à Los Angeles.

Des policiers promus 

Autre problème dénoncé par Amnesty International, l’impunité des policiers coupables de violences policières… quand ils ne sont pas promus. C’est notamment le cas des policiers impliqués dans la mort de Lamine Dieng. Une impunité que dénoncent Ramata Dieng, la soeur du défunt et les divers collectifs de victimes. La Cour de cassation devrait rendre sa décision d’ici quelques jours, mais la famille ne se fait guère d’illusions sur l’issue de ce pourvoi en cassation. Elle ne renonce pas et demande toujours « Vérité et justice pour Lamine ». Elle est prête à saisir la Cour européenne des droits de l’homme, une fois tous les recours épuisés en droit interne. Elle souhaite faire condamner l’Etat et pourrait attaquer le médecin légiste qui a réalisé la première autopsie, complaisante avec les policiers et démentie par plusieurs expertises médico-légales depuis. Et souhaite que le rassemblement organisé demain au 58 rue des Amandiers soit un succès. D’autant que le mouvement contre les violences policières réunit bien au-delà des quartiers, la répression des mouvements sociaux ayant occasionné de nombreuses victimes de coups et même d’infirmités permanentes.

Véronique Valentino le 16 juin 2017

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