L'AUTRE QUOTIDIEN

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De l’incertitude d’avril à l’hiver : ce qui mérite vie, par Candice Nguyen

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Departure (Home) Max Richter

photographies : depuis le train au retour de Ventimiglia, août 2013 © Candice Nguyen

_dans un coin de la pièce, un rai de lumière indifférent aux saisons cogne contre les tiroirs de la commode renversée_

matin brumeux, fin du jour hésitant
la lumière qui éclôt et décline dans le même mouvement te ramène des fragments par pans entiers
abrupts comme les falaises
enfouies tout au fond
de ton enfance

retrouvée

attente perdue
présent suspendu
quelque chose t’enveloppe de tous ses bras
te déborde

tu es à la fois brume, rai de lumière, éclaircie, bois
ce que tu te remémores rentre dans ton ventre — falaises, eau, forêts —
et devient toi

tu touches tes joues, ton front, tes paupières
longuement

souffles

vérifies que tu es bien en vie
ici
présent

la buée que provoque ton souffle comme un indice

ta main posée sur le rebord de la fenêtre,

le vent —

dimanche après-midi d’hiver ne cesse de trébucher sur lui-même_

_heure creuse heure fugace
alors que le jour s’éteint
tout commence
les persistances rétiniennes de tes souvenirs

heure pleine heure bleue
lentement imperceptiblement
le ciel s’étire en dégradés clairs-obscurs
et s’enfonce dans le bleu noir de la nuit, le pourpre, le violet
toutes les demi-teintes intermédiaires

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les oiseaux marins se sont juchés sur les toits

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ils contemplent,
comme toi,
le jour qui se retire

les variations infimes de la lumière
les formes apparaître

dans le paysage en arrêt, tu perçois
l’étiolement des couleurs en ses bords
l’étirement du temps
dans ses replis,

la légère ondulation qui dure encore : tu t’y aménages un recoin, t’y installes

tu te mets à partager alors le souvenir
de quand le jour n’en finissait jamais,
jamais

_tu te demandes : sans la tombée de la nuit, où et comment
trouver réconfort et abri ?

la dépouille des dernières croyances en suspens dans les cieux
attend que la brise marine se lève

ta question insiste
aux pieds de quels tremblements, sous quelle lueur acharnée,
le murmure de la mère peut-il encore trouver
écho

sans la tombée de la nuit

 
(ce qui mérite vie : les rêves au creux-même de l’hiver, les traversées de la côte par le train, le souvenir des jours polaires sans fin, et cetera)

 

Candice NGUYEN


Notes:
• Texte extrait de mon chantier arctique démarré au Groenland août 2015
• Photographies prises depuis le train au retour de Ventimiglia, août 2013
— on n’aura pas peur de mélanger tous les temps, tous les lieux, tous ces mots pour qu’ils rejoignent un même espace de vie.

Notre chroniqueuse de l'ailleurs Candice Nguyen a quitté Paris sur un coup de tête pour Marseille où elle vit et travaille depuis 2008 dans l’éditorial et la communication digitale. Partage son temps entre la mer, les routes et l’aide à la diffusion d’artistes, à travers notamment la revue de photographie et d’arts PLATEFORM Magazine et son journal en ligne. Elle est en charge des chroniques pour L'Autre Quotidien.