L'AUTRE QUOTIDIEN

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Histoires de ceux qui n'existent pas, ou le non accueil des mineurs venus d'ailleurs, 4. Par Agathe Nadimi

Le 24 avril 2017

Ce matin, j'ai mis mon réveil comme de nombreux autres matins pour aller rencontrer des gamins venus de loin. 

J'ai eu du mal à me lever dans cette France qui positionne la haine au second tour.

Beaucoup de mal, à l'opposé de mes valeurs d'humanité, mais j'ai traversé une fois de plus encore Paris pour aller voir ceux qui ont besoin d'aide, d'être réconfortés par la solidarité. 

Sur la longue ligne 12 interminable jusqu'à Pigalle, puis ensuite sur cette ligne populaire qu'est la ligne 2, je n'ai senti aucun malaise. 

Un jour ordinaire, comme tous les autres jours où j'ai emprunté cet itinéraire familier. 

Où est il passé le malaise du lendemain du premier tour des élections de 2002 ? 

Je me souviens de la suspicion, des regards croisés sur ces mêmes lignes, je me souviens de cet air lourd, pesant, malaise ambiant comme si c'était hier, j'espérais au fond de moi le retrouver pour me rassurer sur le fait que l'immonde a une honte, que l'humanité sait encore avoir honte. Mais non, tout est devenu normal même la haine de l'autre. 

À la sortie du métro, une petite troupe de mineurs isolés étrangers que je nomme normalement pudiquement par des initiales m'attendaient. 

Aujourd'hui, plus qu'hier et pour demain, j'écris leurs prénoms, ces prénoms viennent de loin mais ils composeront les classes d'école de demain.

Ces gamins venus de loin pour trouver refuge seront mes futurs étudiants de demain, ils travailleront en France aux côtés de nos enfants. 

Si mon fils se moque un jour d'un prénom d'un copain de classe lié a une origine, il sait qu'il recevra de ma part une leçon sur les valeurs de tolérance, de l'anti- haine raciale et il ne s'y risquera pas, il sait que je peux être très obstinée par des débats sans fin. 
L'obstination est le propre du combat. 

Mon combat porte le nom de ces gamins qui m'attendaient à la sortie du métro ce matin et tous les autres matins: Mamadou, Malik, Mohamed, Keita, Hamid, Yassine, Yasmine, Imran, Mohamad, Tahir, Sami, Adissa... la liste des autres beaux prénoms est longue et celle de leurs copains aussi. 

Ils m'attendaient avec les yeux du courage, avec leurs forces, leurs craintes mais par dessus tout avec l'espoir d'une humanité sans racisme, une humanité sans frontière, sans origine, sans haine. Celle du beau slogan de ce pays qu'ils ont choisi pour " liberté, égalité, fraternité " et qui pour eux, a encore tout son sens. 

J'ai ensuite rejoint mon travail, j'ai marché dans les rues de Paris, de couronnes à saint Ambroise, j'ai regardé les gens, j ai respiré bien fort, mais je n'ai pas senti de malaise. J'ai retrouvé mes classes post bac de l'école de commerce, je me suis demandée un court instant en faisant les appels de mes classes, s'il y avait parmi cette jeunesse dorée des votants de Marine Le Pen et puis, comme je n'ai toujours pas senti de malaise j'ai fait mes cours comme tous les autres jours d'avant avec motivation. 

En sortant de l'école de commerce à 19 h, en descendant la rue saint Ambroise, j'ai retrouvé des gamins venus de loin qui mangent tous les soirs au kebab sélectionné par ftda (France terre d'asile) près de l'hôtel pourri, ils sont tous venus me voir pour parler un peu. 

Celui qui préfère que je l'appelle Yaya, n'a même plus le droit au kebab pourri, il dort ce soir comme hier soir dans une rue calme près de Belleville mais "ça va encore".

Ce midi on lui a donné double ration dans un sac en plastique pour qu'il puisse manger ce soir. Il a dit "merci encore". 

Et puis, j'ai marché jusqu'à République pour chercher une dernière fois en ce lendemain de premier tour des élections le malaise... 

À République, il y avait de la musique, plein de monde, des pancartes et des banderoles. Il était écrit "anti fn", "notre France est belle", "stop fascisme". 

Je n'ai pas trouvé le malaise mais j'ai trouvé au bout de ma longue journée, l'espoir que tout puisse encore être possible. 

"Ça va encore" mais demain ?

On avait dit tout sauf la haine, tout sauf le racisme, tout sauf ça.

Ceux qui votent pour la terreur semblent ne pas voir le problème. Ils disent même que Marine Le Pen n'est pas raciste. 

Il faut plus que jamais se mobiliser. Si vous ne le faîtes pas pour vous, faîtes-le pour Mohamed et ses copains, ils sont nos copains.

Donnons une chance à nos enfants de pouvoir encore rigoler (un court instant) de prénoms aux connotations d'ailleurs et aux parents que nous sommes de donner des leçons de tolérance et d'ouverture sur le monde.

L'heure n'est plus au débat mais au combat.

Le 26 avril 2017

Ftda (France terre d'asile) ne change pas ses conditions d'accueil. Ni pour les mineurs dans les hôtels pourris, ni devant ses locaux (Photo prise ce matin 26 avril )

R. 13 ans 1/2 a dormi cette nuit au milieu de l'horreur de la porte de la chapelle. Il a été signalé très tard vers minuit, il n'y avait pas de solution. Je lui ai envoyé des sms pour lui dire que demain sera un autre jour, que ça ira. Je n'avais rien d'autre à lui proposer dans l'immédiat qu'une rencontre bienveillante et un rendez-vous le lendemain matin pour aller déjeuner ensuite avec plein de belles personnes et de petits comme lui dans ce jardin fleuri. 

Il a répondu immédiatement "thank you so much" et ce matin, il était au rendez vous fixé. 

J'ai vu ce petit bonhomme débarquer, il avait besoin d'espoir. On a discuté, quelques questions et regards sincères pour avoir sa confiance: il ne veut qu'une seule chose: rejoindre son grand frère en Angleterre. 

On a récupéré tous les gamins qui traînaient près du demie et on a été manger tous ensemble au jardin. 

Il y avait aussi le petit qui était rentré un peu tard un soir à l'hôtel parce qu'il avait voulu voir la Tour Eiffel et pour qui il avait fallu batailler pour qu'il puisse "réintégrer le dispositif "face à la directrice qui ne voulait rien savoir.

Je l'avais retrouvé en larmes devant la grille. 
il me saute dans les bras il vient d'être accepté ! Comme quoi...

On a aussi fêté ça en allant déjeuner.
Le déjeuner était beau, bon et les gamins ont été très gâtés grâce à la générosité de personnes magiques. 

Il y avait du monde ce midi, msf aussi. Faire venir du monde autour d'eux, donner des repères, des conseils, juste discuter, et passer à plus de légèreté avec une partie de ping-pong autour d'un très bon déjeuner. Ce rendez vous devient régulier, on se connait bien maintenant. Certains sont là depuis longtemps, en recours, d'autres sont en période précaire de mise à l'abri sans déjeuner le midi en attente de leur évaluation, décision, la plupart sont des fidèles des cours de français. 

M 15 ans a un peu la trouille, il a son évaluation a 14h, d'autres doivent aller chercher leur décision post évaluation et le petit R ira aussi au moins pour avoir un hôtel sinon on se débrouillera pour lui éviter une nouvelle nuit dehors.

J'irai avec eux après. 

Et puis, juste avant de partir Y. et K. me montrent leurs papiers de recours, ils me disent qu'ils ont froid la nuit, ils partent tous les deux sur un banc au soleil, attendront le cours de français de demain...

Ils dorment dehors depuis plusieurs nuits. 
J'ai beaucoup pensé à eux ces derniers jours, ils devaient venir récupérer un téléphone, quelques affaires et à manger hier matin lors de notre distribution, mais ils n'étaient pas au rendez vous.

J'espérais les voir aujourd'hui pour pouvoir au moins donner ce téléphone pour qu'ils puissent appeler en cas d'urgence, qu'ils se sentent moins isolés. 

Ils l'ont eu aujourd'hui et ont eu bien plus que ça puisque ce soir et les prochains soirs ils dorment chez une merveilleuse amie qui apporte toute son aide sur ces moments de partage. 

En les voyant sur ce banc avec toute leur vie dans un sac plastique à leurs pieds, les larmes avaient remplies mes yeux, j'étais en train de leur dire: " c'est mieux de rester tous les deux, il ne faut pas rester isolé la nuit dans la rue, appelez moi si ça ne va pas..." et j'avais sorti mon dernier ticket restau comme joker suprême. 

C'est vraiment super dur de devoir dire cela à des gamins, on ne s'y habituera jamais. 

Ils rattrapent leurs nuits en retard, là, ils dorment déjà, merci du fond du cœur pour eux à toi qui te reconnaîtra.

14 heures, me voilà repartie vers le demie avec ceux qui doivent y aller, armée pour affronter les nouveaux refus, consoler, orienter, prête à chercher des solutions d'urgence si difficiles à trouver.

Je vais attendre au café du coin. 

Pour aujourd'hui, M a un renvoi d'évaluation à mercredi prochain, les lettres n'étaient pas prêtes, invité à revenir demain (c'est déjà ça de gagné), R a un hôtel pour les nuits à venir et on va s'occuper du regroupement familial pour qu'il puisse retrouver son grand frère, légalement en UK.

Ils m'ont rejoint au café et ils m'ont offert les plus beaux des sourires.  Cette journée se termine bien, c'est une belle journée.

Ils ont besoin de nous. 
Tickets restaurants, coin de canapés, tout ce qu'il est possible de donner. 
Leurs plus beaux sourires viennent de loin...

Agathe Nadimi

Enseignante et mère d’un adolescent de 14 ans, Agathe Nadimi a été touchée par l’histoire des migrants qui vivaient dans un camp de fortune à la station de métro Stalingrad à Paris, en 2016. Citoyenne solidaire, elle leur vient en aide depuis plus d’un an. Histoires de ceux qui n'existent pas, ou le non accueil des mineurs venus d'ailleurs, sa chronique dans L'Autre Quotidien, raconte cet engagement.