L'AUTRE QUOTIDIEN

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Un rassemblement en hommage à Wissam El Yamni interdit sous la pression des syndicats policiers

La famille et les proches de Wissam El Yamni avaient prévu de planter un arbre de la paix dans un parc de Clermont-Ferrand en hommage au jeune homme, décédé après son interpellation par la police, dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier 2012, avec l'accord du maire de la ville. Le préfet a préféré interdire le rassemblement suite à l'annonce d'une contre-manifestation par trois syndicats policiers.

Les grilles du jardin Lecoq sont restées fermées samedi, sur ordre du préfet du Puy-de-Dôme, Jacques Billan. C'est là que devait se tenir une commémoration en hommage à Wissam El Yamni, un jeune chauffeur routier de 30 ans, décédé après neuf jours de coma suite à son interpellation musclée dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier 2012. La famille et les proches avaient prévu, avec l'accord du maire de Clermont-Ferrand, Olivier Bianchi, la pose d'une stèle commémorative et la plantation d'un arbre de la paix dans ce jardin public de la ville. Dans un communiqué du 17 octobre, le comité "Justice vérité pour Wissam" envisageait ce geste comme "une pause dans la quête de vérité et le symbole de notre tentative d'apaisement". "Cet événement, écrit le collectif, "avait pour but de lui redonner son identité de fils, de frère, de mari, d'ami".

Un geste d'apaisement qui n'a pas été apprécié par les syndicats policiers. Trois d'entre eux, le syndicat très droitier Alliance, mais aussi SGP Police FO et Synergie officiers, avaient relayé un appel en faveur d'une contre-manifestation. Le syndicat Alliance a même été jusqu'à écrire à Gérard Collomb pour demander l'annulation du rassemblement prévu en hommage à Wissam El Yamni. Ils ont eu gain de cause auprès du ministre de l'Intérieur, puisque Le 17 novembre, le préfet a interdit tout rassemblement dans le Jardin Lecoq et aux alentours pour "prévenir les menaces graves de trouble à l'ordre public". Une décision étonnante, le préfet expliquant ainsi que, face aux pressions policières, il ne s'estime pas en mesure de garantir l'ordre public, ce qui est pourtant la mission des forces de l'ordre.

Les proches de Wissam El Yamni ont donc annulé leur appel à cette commémoration pacifique, rappelant qu'ils sont "attachés à l'Etat de droit", tout en constatant que "ce groupe de pression obtient gain de cause auprès du plus haut représentant de l'Etat, qui s'avoue ainsi impuissant à faire respecter la légalité républicaine et les libertés fondamentales". Critiqué par la police pour avoir autorisé la manifestation en hommage à Wissam El Yamni, le maire de Clermont-Ferrand a dû se justifier, rappelant qu'il avait simplement "accédé à la demande d'une famille clermontoise, meurtrie depuis six ans", qui souhaitait exprimer "pacifiquement son désarroi".

Un désarroi qui s'explique par la lenteur de l'instruction judiciaire conduite par la chambre d'instruction de Riom. Alors que deux des policiers mis en cause, Pascal F. et Arnaud P., avaient d'abord été mis en examen, ils sont maintenant placés sous le statut de "témoins assistés". Un rapport de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) avait relevé que les policiers qui avaient interpellé Wissam El Yamni la nuit de la Saint-Sylvestre, avaient utilisé la technique du "pliage". Celle-ci consiste à maintenir une personne assise la tête sur ses genoux. Elle est responsable de la mort de plusieurs personnes, dont Ali Ziri, un retraité algérien, décédé en 2009. Elle a même fait l'objet d'une note de la direction de la police nationale l'interdisant en 2003, alors qu'elle était à l'origine de deux morts en 2002.

Pour ce qui est du décès de Wissam El Yamni, l'ACAT (association chrétienne contre la torture) rappelait, dans un document de 2016, les nombreuses contradictions policières et les irrégularités de l'enquête. Des photos prises entre le 1er janvier, date de l'arrestation, et le 10 janvier, au lendemain de la mort du jeune homme, n'ont jamais été versées au dossier par la police, les enregistrements audio sont incomplets. Les traces de coups et de strangulation relevées sur le corps n'ont pas fait l'objet d'explications convaincantes.

Alors que les premiers rapports évoquaient un décès par asphyxie, une nouvelle expertise a conclu à une mort par arrêt cardiaque imputée à une consommation de cocaïne et d'alcool. Pourtant, un toxicologue avait indiqué que Wissam El Yamni n'était plus sous l'emprise de cocaïne, au moment où il est tombé dans un coma profond dont il n'est jamais sorti. Même le Défenseur des droits s'était heurté à l’obstruction de la police. Il n'avait par exemple, pas pu avoir accès aux enregistrements audio, malgré ses nombreuses relances. Alors que la bataille d'experts se poursuit, la famille de Wissam, elle, attend toujours la vérité sur le décès du jeune homme.

Véronique Valentino

Chronologie générale de l'affaire Wissam El Yamni sur le site Justice pour Wissam