L'AUTRE QUOTIDIEN

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Une vraie vie de poupée avec Jenny, par Sandra Hoyn

Dirk et Jenny forment un couple heureux depuis quatre ans. Alors, qu'est-ce que ça peut faire qu'elle soit une simple poupée en silicone, hein ? Avant de commencer à juger, jetez donc un œil à ces clichés qui devraient quand même vous aider à réviser votre notion de la normalité… Après tout, c'est quoi déjà ?

Démarrer le projet a été la chose la plus ardue pour moi : d'un côté j'avais peur que Dirk ne soit pas d'accord pour que je prenne des photos. Ensuite, j'avais aussi peur de la réaction de Jenny, avec la suggestion possible à Dirk qu'elle ne voulait pas non plus de photos… La série a pour sujet Dirk, qui vit depuis quatre ans une relation épanouie avec Jenny, sa poupée de silicone. 

C'est à la suite d'une grosse dépression que Dirk a acheté Jenny pour se sentir moins désespérément seul. Avant cela, Dirk avait vécu au moins deux relations stables et cherchait une vraie compagnie. Et comme je m'en suis aperçue de suite, il avait trouvé en Jenny une vraie partenaire, pas seulement un jouet sexuel. 

Dirk avait développé une relation émotionnelle complexe avec elle, capable de l'entendre, de lui parler et même d'établir une relation d'âme à âme. Sa poupée lui donne un vrai sentiment de sécurité au point qu'il ne pourrait vivre sans elle. Il y a trouvé le bonheur, même si je ne me l'explique pas, il est heureux ainsi.  

Mon idée première était de le montrer lui et comment sa vie de couple était vécue uniquement chez lui, car Dirk ne sait absolument pas comment des étrangers pourraient réagir à la situation. Ce faisant, Dirk n'était pas si isolé que cela, il avait des amis, dont certains au courant de sa situation. Il s'était juste arrangé pour que ses enfants n'en sachent rien, car il ne les sent pas prêts à comprendre ce qui se passe. 

Alors, je me suis finalement retrouvé chez Dirk. J'étais un peu nerveuse, mais il m'a mise à l'aise de suite car le courant passait entre nous. Il ne me restait qu'à franchir un dernier obstacle, la rencontre avec Jenny au risque, si elle ne me sentait pas, d'en avoir terminé avant même d'avoir commencé…  

J'avais peur aussi de ne prendre que des photos et de passer à côté du reste. Il fallait mettre les deux sujets sur le même pied pour trouver l'empathie. Je devais voir Jenny autrement que comme une simple poupée et comprendre ce que Dirk pouvait y trouver et aimer.

Finalement, j'entrais assez vite dans son univers et, une après-midi qu'il l'avait couchée pour faire la sieste, je me retrouvais même à lui parler doucement, de peur de la réveiller. Suite à cela, je me suis demandée à quoi cela pouvait bien rimer. Puis, me suis dit qu'après tout, je voyais alors le monde selon la vision de Dirk. Je me suis attachée à lui et le défends même quelquefois. Le gens ne comprennent pas pourquoi…

Mais après tout, quel mal à cela ? Pourquoi pas, puisqu'il ne fait de mal à personne. Où serait le mal - et où sont les frontières de la réalité/normalité, hein ? 

Sandra Hoyn, adaptée par Jean-Pierre Simard

Plus sur le travail de Sandra Hoyn, ici, et là 

Elle a obtenu en 2016 le Magnum Photography Awards en photo journalisme à Amsterdam.