L'AUTRE QUOTIDIEN

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Lettre ouverte aux jeunes Musulmans : chaque malheur porte en soi la victoire. Par Ramzy Baroud

"Certains de ceux qui vivent dans les pays occidentaux cessent de partager avec d’autres le fait qu’ils sont musulmans, évitant n’importe quelle discussion qui pourrait avoir comme résultat de les marginaliser encore plus dans des sociétés de plus en plus intolérantes. D’autres qui vivent dans des pays à majorité musulmane, hélas, réagissent à la haine par leur propre haine. Les uns et les autres naviguent entre la haine de l’autre et la haine de soi, la crainte et l’apitoiement, l’apathie contrainte, la rage et le dégoût de soi. Avec le temps, un sentiment d’appartenance devient impossible à atteindre, et comme moi lorsque j’étais plus jeune, peut-être vous demandez-vous comment les choses se seraient passées si vous viviez dans une autre époque et dans un autre lieu. Mais au milieu de toute cette adversité, il est essentiel de se rappeler que les peines dans la vie peuvent être l’occasion des meilleures leçons pour en sortir personnellement et collectivement grandi." Un message d'espoir et de sagesse aux jeunes musulmans du journaliste palestinien Ramzy Baroud, né et grandi à Gaza.

Un garçon palestinien déplacé par l'attaque israélienne du camp de réfugiés de Beit Hanoun, dans le nord de la Bande de Gaza, devant une école de l'UNRWA au camp de Jabaliya. Photo MOHAMMED ABED/AFP/Getty   

Quand j’étais petit garçon, j’imaginais souvent être né à l’écart des difficultés du camp de réfugiés à Gaza, en un lieu et en une époque sans soldats, sans occupation militaire, sans camps de concentration et sans cette angoisse quotidienne , dans laquelle mon père luttait pour notre simple survie, tandis que ma mère faisait tout ce qui était en son pouvoir pour compenser avec tout son amour l’humiliation de la vie.

Devenu adulte, et en repensant à mes rêves d’enfant, je suis arrivé à une conclusion tout à fait différente : si c'était à refaire, je le referais, je ne changerais rien à mon passé, essayant néanmoins de le transformer d'une manière ou d'une autre. J’embrasserais chaque moment, revivrais chaque larme, chaque perte, et me réjouirais de chaque succès, même réduit.

Quand nous sommes jeunes, il est rare que l’on nous explique de ne pas craindre les souffrances et la peur, que rien ne peut être aussi profitable pour construire son identité, donner un but à sa vie et libérer son esprit que la lutte contre l’injustice. En vérité, il ne faudrait jamais faire sienne la servitude ou arborer sa condition de victime comme un insigne. Le plus simple acte de résistance à la pauvreté, à la guerre et aux injustices de toutes sortes est le premier critère, et le plus essentiel, pour se préparer à une existence plus digne et à une vie meilleure.

Je dis ceci parce que je comprends ce que bon nombre d’entre vous doivent aujourd’hui endurer. Ma génération d'habitants  de camps de réfugiés a expérimenté cela de la manière la plus violente que vous ne pourrez jamais imaginer. Ce sont des années difficiles et pleines de défis pour la majeure partie de l’humanité, mais d’autant plus pour vous, jeunes musulmans, en particulier.

Entre le racisme des hommes politiques et des partis aux USA et en Europe, le sentiment anti-musulman déferlant sur une grande partie de la planète - propagé par des personnes égoïstes aux objectifs sinistres, jouant sur la peur et l’ignorance - et la violence et contre-violence exercées par des groupes qui se présentent comme « musulmans », vous vous retrouvez emprisonnés dans les stéréotypes, entre les paroles de haine des médias et la violence, ciblés, stigmatisés et injustement craints.

La plupart d’entre vous sont nés ou ont grandi dans cette marginalisation sociale et politique et ne se rappellent aucun moment particulier dans votre passé où la vie était relativement normale, quand vous n’étiez pas le bouc émissaire bien pratique pour une bonne part de qui allait mal dans le monde. En fait, consciemment ou non, vos caractères ont été trempés par cette réalité faite d’injustices, partagés entre les accès de colère face aux mauvais traitements et les tentatives désespérées de vous défendre, pour protéger votre famille, votre communauté, votre culture et votre religion.

Avant tout, vous continuez à lutter, chaque jour, pour développer un sentiment d’appartenance, de citoyenneté dans des sociétés dont vous êtes souvent rejetés et exclus. Celles-ci exigent votre « assimilation », tout en vous repoussant chaque fois que vous vous rapprochez. C’est apparemment une tâche impossible, j’en conviens.

Et il semble que, quoi que vous fassiez, vous aurez toujours et encore à combattre les fausses représentations injustes de qui vous êtes et des nobles valeurs qui sont celles de votre religion. Leur racisme semble se développer, et toutes les flèches de leur haine sont pointées vers l’Islam, en dépit de vos tentatives passionnées de les convaincre du contraire.

De fait, vous avez du mal à comprendre pourquoi l’Islam est, en effet, le premier point dans cette dispute. L’Islam n’a jamais invité les USA à partir en guerre au Moyen-Orient, à mettre leur nez dans vos civilisations et à tourmenter vos frères musulmans ailleurs dans le monde.

L’Islam n’a été jamais consulté quand Guantanamo a été mis en place pour servir de goulag dans le mépris le plus total des normes internationales en matière de droits humains.

Il n’était guère question d’Islam quand les partis belligérants, avec leurs propres agendas politiques entièrement intéressés, ont décidé d’intervenir violemment en Syrie, en Irak, en Libye, au Yémen, en Afghanistan, pour ne citer que ceux-ci.

L’Islam n’était pas le problème quand la Palestine a été envahie par les milices sionistes, avec l’aide des Britanniques et plus tard, des US-Américains, transformant la Terre Sainte en un champ de bataille pour la majeure partie du siècle dernier. Les répercussions de cet acte ont scellé le destin de la région, faisant basculer celle-ci d’une paix relative à une guerre et un conflit perpétuels et  répugnants.

La même logique peut être appliquée à tout ce qui a mal tourné, et vous vous êtes souvent interrogés à ce propos. L’Islam n’a pas inventé le colonialisme et l’impérialisme, mais les Asiatiques, les Africains et les Arabes s’en sont inspiré pour combattre ce mal écrasant. L’Islam n’a pas produit l’esclavage de masse, alors qu’au contraire, des millions d’esclaves des Amériques et de l’Europe ont été eux-mêmes musulmans.

Vous essayez de leur expliquer tout ceci, et vous insistez sur le fait que des groupes aussi vindicatifs que l’État islamique ne sont pas un produit de l’Islam mais plutôt un sous-produit de la violence, de l’avidité et des interventions étrangères. Mais ils n’écoutent pas, répliquant avec des versets choisis à bon escient dans votre Livre Sacré et qui ont été écrits pour des contextes historiques et des circonstances bien spécifiques. Vous partagez alors certains versets du Coran avec tous vos followers sur les réseaux sociaux : « … quiconque tuerait une personne non coupable d'un meurtre ou d'une corruption sur la terre, c'est comme s'il avait tué tous les hommes. Et quiconque lui fait don de la vie, c'est comme s'il faisait don de la vie à tous les hommes. » (Sourate 5 ; Verset 32), en espérant obtenir une certaine compréhension sur le caractère sacré de la vie humaine selon votre religion, mais un changement fondamental d’attitude doit encore advenir.

Donc quelques-uns parmi vous désespèrent. Certains de ceux qui vivent dans les pays occidentaux cessent de partager avec d’autres le fait qu’ils sont musulmans, évitant n’importe quelle discussion qui pourrait avoir comme résultat de les marginaliser encore plus dans des sociétés de plus en plus intolérantes. D’autres qui vivent dans des pays à majorité musulmane, hélas, réagissent à la haine par leur propre haine. Les uns et les autres naviguent entre la haine de l’autre et la haine de soi, la crainte et l’apitoiement, l’apathie contrainte, la rage et le dégoût de soi. Avec le temps, un sentiment d’appartenance devient impossible à atteindre, et comme moi lorsque j’étais plus jeune, peut-être vous demandez-vous comment les choses se seraient passées si vous viviez dans une autre époque et dans un autre lieu.

Mais au milieu de toute cette adversité, il est essentiel de se rappeler que les peines dans la vie peuvent être l’occasion des meilleures leçons pour en sortir personnellement et collectivement grandi.

Vous devez comprendre qu’il n’existe guère de communauté à qui aient été épargnées les souffrances collectives dans l’histoire, qui n’ait pas subi les persécutions, le racisme, la guerre, la purification ethnique et tous les maux que les musulmans endurent en ce moment, de la Syrie à la Palestine et jusque dans l’Amérique de Donald Trump. Ce n’est en rien « une excuse » mais c’est un rappel important que vos difficultés ne sont pas uniques parmi les nations. Il se peut simplement que tout ceci marque l’heure d’apprendre certaines des leçons les plus précieuses de la vie.

Pour surmonter ces difficultés, vous devez d’abord être absolument clairs sur qui vous êtes. Vous devez tirer de la fierté de vos valeurs, de votre identité. Ne cessez jamais de combattre la haine par l’amour, d’aller de l’avant, d’éduquer, d’appartenir à votre communauté. Si vous renoncez, alors le racisme l’emporte et vous perdez cette occasion sans égale d’un progrès individuel et collectif.

Il m’arrive de plaindre ceux qui sont nés trop privilégiés : bien qu’ils aient accès à l’argent et aux biens matériels, ils peuvent difficilement apprécier le genre d’expériences que seule la souffrance peut apporter. Aucune sagesse n’est possible sans expérience de la souffrance.

Et si vous êtes sur le point de céder, tenter de vous souvenir que Dieu « n’impose rien à l’âme qui soit au-dessus de ses moyens. » (Sourate 2 ; Verset 286).

Ramzy Baroud رمزي بارود 


Traduit par  Lotfallah Edité par  Fausto Giudice Merci à Info-Palestine
Source: http://www.ramzybaroud.net/an-open-letter-to-young-muslims-everywhere-the-seed-of-triumph-in-every-adversity/