L'AUTRE QUOTIDIEN

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Syrie : les soldats égyptiens vont-ils être envoyés au casse-pipes à notre place ?

Ni les Américains ni les Européens se souhaitent risquer leurs soldats dans le charnier syrien. Ils préféraient envoyer des armées arabes à leur place. Tout le monde applaudit : cela semble sensé. Des arabes, des musulmans, ni des croisés, ni des colonialistes. Cela dit : il s'agit quand même d'hommes que les grandes puissances souhaitent envoyer mourir à leur place. Les Égyptiens risquent-ils de se réveiller prochainement au son du tambour battant la mobilisation générale ? Nous pensons qu'il faut entendre l'inquiétude exprimée par la journaliste Rabah Ataf, auteure de "Place Tahrir, une révolution inachevée".

En effet, depuis les attentats qui ont ensanglanté Paris le 13 novembre dernier, les officiels français, Président Hollande en tête, n'ont eu de cesse de clamer que les frappes aériennes contre Daech ne viendraient pas à bout de la bête immonde. Selon eux, il faudra désormais mobiliser des troupes terrestres pour appuyer les frappes aériennes. «Il y a deux séries de mesures : les bombardements […], et des forces au sol qui ne peuvent pas être les nôtres, mais qui peuvent être à la fois des forces de l’Armée syrienne libre [opposition, ndlr], des forces arabes sunnites, et pourquoi pas des forces du régime, et des Kurdes également bien sûr», déclarait Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, le 27 novembre dernier au micro de la radio RTL.

Cependant, un constat s'impose. On voit mal comment toutes ces forces, qui se font une guerre atroce depuis quatre ans, pourraient travailler ensemble alors que les Nations unies ont toujours échoué, hormis de très rares exceptions, à organiser la moindre trêve entre elles, ne serait-ce que pour secourir les populations. De plus, parier sur «les forces du régime» pour vaincre « l’État islamique » apparaît comme une illusion ! Celles-ci ont été saignées par quatre années de guerre, n’ont quasiment plus de capacités opérationnelles et sont totalement dépendantes des miliciens du Hezbollah, des gardiens de la révolution iraniens, des volontaires chiites irakiens et afghans et, depuis peu, des forces spéciales russes.

 

Dès lors, un scénario proche de celui de la deuxième guerre du Golfe est certainement fort probable. A l'époque, le corps expéditionnaire égyptien fut déployé à partir de septembre 1990, fort de 35 000 hommes, dans le cadre de l'opération « Bouclier du désert ». Même si les diplomates et commentateurs français ne parlent actuellement que de « forces arabes sunnites », il est évident que l'Égypte sera en première ligne. Les derniers propos de John McCain, président du Sénat US et de la Commission des affaires militaires, ne laissent d'ailleurs aucun doute à ce sujet. Dans sa déclaration du 29 novembre dernier à Bagdad, ce diplomate officieux a en effet appelé à la constitution rapide d'une force terrestre, composée des « armées arabes sunnites », pour lutter contre Daech, précisant que l'Égypte pourrait facilement mobiliser des troupes conséquentes car elle mène déjà une guerre contre le terrorisme dans le Sinaï. La Turquie, inquiète au sujet des rebelles kurdes, fournirait aussi un contingent de soldats. Quant aux petits pays du Golfe et à l'Arabie Saoudite -déjà accaparée au Yémen- leur apport en hommes serait symbolique, vu leur faible capacité. Au total, précisait-il encore, cette force terrestres compterait 100 000 hommes encadrés par environ 10 000 militaires américains, pour des raisons d'efficacité. Autrement dit, une armée de supplétifs arabes sous commandement du Pentagone, de l'OTAN et de la Russie !

Pour le moment, il ne s'agit que de déclarations parallèles aux discussions menées par la France avec la Russie concernant la coordination des forces déjà engagées en Syrie et en Irak. Mais, il semble que les attentats sanglants de Paris aient décidé les Occidentaux à prendre la décision de déployer de gros moyens pour en finir une fois pour toute avec Daech. Et ce, dans les plus brefs délais, après avoir longtemps tergiversé malgré les 250 000 morts syriens depuis janvier 2011. L'afflux massifs de réfugiés aux portes de l'Europe n'est sans doute pas étranger à cette accélération des événements. De plus, vu la facilité avec laquelle Daech se métastase, la nécessité d'une intervention militaire au sol en complément des frappes aériennes est devenue nécessaire. Cependant, il ne faut pas être dupes : les pays occidentaux ne veulent pas engager leurs armées respectives pour ne pas risquer des pertes importantes en hommes. Dans les pays démocratiques en effet, l'opinion publique a son poids, et les gouvernants y sont très attentifs. Le rapatriement des corps de soldats morts aux combats risque de réveiller les mouvements anti-guerre, comme ce fut le cas durant la deuxième guerre du Golfe, et surtout lors de l'invasion américaine de l'Irak après les attentats du 11 septembre 2001 à New-York. La guerre n'est, en effet, pas encore un jeu vidéo, malgré l'utilisation croissante de drônes et de robots. Le « zéro mort » n'existe pas !

Les Occidentaux, certes, sont particulièrement soucieux d'économiser la vie de leurs soldats. On le comprend aisément ! Mais la vie de tous ces hommes, majoritairement égyptiens selon McCain, et qui pourraient mourir, dans un avenir proche, pour des intérêts qui les dépassent, n'a-t-elle pas autant de valeur à leurs yeux ? « La guerre, c'est la continuation de la politique par d'autres moyens », écrivait le général prussien Carl Von Clausewitz dans son célèbre traité de stratégie militaire. Nos gouvernants seraient bien inspirés de méditer cette citation avant de prendre la décision de s'engager sous la coupe des Occidentaux, d'autant que tous les moyens diplomatiques n'ont pas encore été mis en œuvre. Ils feraient bien de réfléchir, avant de sacrifier la vie de citoyens sur l'autel d'une guerre dont les conséquences se répercuteront forcément sur nos sociétés...et qui ne leur rapportera certainement que des miettes ?

Rabha Attaf رابحة عطاف 

Merci à Tlaxcala
Source: http://www.almorakib.com
Date de parution de l'article original: 10/12/2015
URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=16789