L'AUTRE QUOTIDIEN

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Dubaï, l'enfer du paradis

Étonnant : personne n'a proposé de tenir la COP 21 à Dubaï. Cela aurait été pourtant instructif. Grâce à la fatale addiction d’une planète désespérément assoiffée de pétrole arabe, cet ancien village de pêcheurs et de contrebandiers est bien placé pour devenir l’une des capitales mondiales du XXIe siècle. Parce qu’elle préfère les vrais diamants au strass, Dubaï a déjà surpassé Las Vegas, cette autre vitrine désertique du désert capitaliste, dans la débauche spectaculaire et la surconsommation d’eau et d’électricité.

Dans ce passionnant et très court essai de 2006 (traduit en 2007 par Hugues Jallon et Marc Saint-Upéry aux éditions Les prairies ordinaires), l’analyse de l’historien, ethnologue et sociologue urbain Mike Davis, suivie d’un texte de François Cusset, sur ce que représente Dubaï, comme apogée de la folie du capitalisme, rejoint les fictions les plus extrêmes, de Philip K. Dick ou du même Hugues Jallon.

«Souvent comparé à Las Vegas, Manhattan, Orlando, Monaco et Singapour, l’émirat est tout cela à la fois, mais porté à la dimension du mythe : un pastiche hallucinatoire du nec plus ultra en matière de gigantisme et de mauvais goût.»

La construction du premier édifice en béton à Dubaï date de 1956, et l’abolition de l’esclavage de 1963. Le béton a depuis envahi la ville-État, avec le développement de cette cité spectaculaire et monstrueuse, emblématique de la consommation de masse, du divertissement et de la destruction des ressources naturelles, mais l’esclavage, lui, n’a pas disparu.

On sait en général que Dubaï est devenu une destination touristique, centre commercial et parc à thème pharaonique où l’on peut skier sous cloche alors qu’il fait plus de 45 degrés dehors, mais Dubaï est aussi depuis trente ans un grand centre commercial et financier, une zone de blanchiment d’argent, le centre financier des islamistes radicaux, en même temps que le partenaire des Etats-Unis dans leur «Guerre contre le terrorisme» et la tête de pont dans la région des entreprises nord-américaines, ainsi qu’une plaque tournante de la prostitution avec des milliers de prostituées provenant, entre autres, de Russie, d’Inde ou d’Iran.

Les facteurs de cette « réussite » sont nombreux et souvent peu avouables, la situation géographique de Dubaï, la taille de son port artificiel achevé au milieu des années 1970, l’argent des iraniens qui utilisent Dubaï comme plateforme commerciale, «l’attractivité fiscale» avec la création de zones franches, le laxisme d’un régime peu soucieux de connaître la provenance de l’argent qui atterrit ici, et surtout la réorientation des flux internationaux de pétrodollars qui ont cessé après septembre 2001 de considérer les États-Unis comme le refuge le plus fiable, et enfin une main d’œuvre extrêmement «bon marché», dans leur immense majorité des travailleurs immigrés déracinés, privés de leur passeport et de tous leurs droits, qui travaillent pour un salaire indigne, entassés dans des foyers insalubres loin des yeux des touristes, et expulsables ad nutum.

«Grâce à la fatale addiction d’une planète désespérément assoiffée de pétrole arabe, cet ancien village de pêcheurs et de contrebandiers est bien placé pour devenir l’une des capitales mondiales du XXIe siècle. Parce qu’elle préfère les vrais diamants au strass, Dubaï a déjà surpassé Las Vegas, cette autre vitrine désertique du désert capitaliste, dans la débauche spectaculaire et la surconsommation d’eau et d’électricité.»

La transition directe à Dubaï du féodalisme à l’hypercapitalisme, en sautant toutes les étapes intermédiaires du développement, pour construire une cite idéale du capitalisme, répond de fait aux aspirations de nouvelles élites cosmopolites, dont la vision du monde est essentiellement celle d’un consommateur et d’un touriste, et dont le sens de la continuité historique et des responsabilités a été dissous dans un mode de vie itinérant et coupé des autres classes, ainsi que le décrit très bien Christopher Lasch dans «La révolte des élites» (1995)

 

Charybde 2

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